L’Union européenne se retrouve à un carrefour critique de son autonomie stratégique face à un monde en pleine mutation, où les enjeux géopolitiques se mêlent à des intérêts économiques complexes.
Certainement, examinons comment l’Union européenne est confrontée à des défis stratégiques dans un paysage mondial en pleine évolution, en se basant sur des faits et des chiffres concrets.
L’UE doit naviguer dans un environnement géopolitique où la guerre en Ukraine a souligné l’importance de son autonomie stratégique, notamment par rapport à Washington et à Pékin. Alors que les États-Unis ont joué un rôle crucial en soutenant l’Europe face à la Russie, ils pourraient chercher des retombées stratégiques majeures, notamment économiques. Par exemple, le partenariat transatlantique peut représenter un marché considérable pour les États-Unis et un levier potentiel pour influencer les décisions européennes.
D’autre part, la Chine représente également un enjeu majeur. Malgré les tensions croissantes avec les États-Unis, elle demeure un marché attractif. Les relations sino-européennes sont complexes, en témoigne le cercle des 17+1 où certains pays de l’Est ont envisagé des accords privilégiés avec Pékin. Par exemple, la Chine a investi massivement dans ces pays, créant ainsi des liens économiques solides.
Sur le plan commercial, les chiffres sont éloquents. En 2022, le commerce entre l’UE et la Chine a atteint environ 586 milliards d’euros, mais des déséquilibres persistent, avec un déficit commercial pour l’UE estimé à environ 180 milliards d’euros en faveur de la Chine. Cette situation met en lumière la dépendance économique croissante de l’UE vis-à-vis de la Chine, notamment dans des secteurs stratégiques tels que les technologies, où l’UE importe davantage qu’elle n’exporte.
La question de l’innovation technologique est également cruciale. L’UE, tout comme les États-Unis, est préoccupée par les avancées technologiques chinoises et les risques de transfert de technologies critiques. Par exemple, la Chine détient une part significative du marché des terres rares, essentielles pour la fabrication de nombreux appareils électroniques, créant ainsi une dépendance majeure de l’UE vis-à-vis de cette ressource stratégique.
En réponse à ces défis, l’UE a développé des stratégies de « derisking », cherchant à réduire ses dépendances excessives tout en évitant un « découplage » radical prôné par certains acteurs américains. Elle a mis en place des outils de défense commerciale autonome pour protéger ses industries, tout en prônant une approche de réduction des risques plutôt que de rupture totale avec la Chine.
Cependant, cette position modérée est délicate. Alors que les tensions géopolitiques s’intensifient et que des choix majeurs se profilent pour l’UE, son leadership doit jongler avec ces réalités tout en protégeant les intérêts économiques européens. Cette complexité exige une gestion habile et stratégique des relations avec la Chine et les États-Unis, tout en préservant la compétitivité économique de l’UE et son rôle sur la scène internationale.
A quoi s’attendre demain ?
À court et moyen terme, les perspectives économiques de la Chine semblent présenter des défis accrus pour les entreprises européennes. À partir de 2024, l’effet de base positif, ayant jusqu’à présent soutenu la croissance, deviendra négatif, signalant une décélération potentielle de la croissance chinoise à environ 4 % par an. Bien que le gouvernement ait renforcé et puisse continuer à renforcer les mesures de relance, ces actions pourraient se révéler insuffisantes pour enrayer cette tendance.
Cette décélération de la croissance pourrait être accentuée par la réduction attendue des taux par la FED aux États-Unis, incitant la Chine à adopter des mesures similaires pour garantir la viabilité de sa dette publique. Cependant, malgré ces initiatives, le gouvernement chinois ne devrait pas radicalement changer sa politique de contrôle du secteur privé. Tant que l’administration de Xi Jinping restera convaincue de l’efficacité de son modèle économique lié au modèle politique actuel, il est peu probable qu’il y ait une évolution structurelle majeure vers un renforcement du secteur privé.
Envisager l’avenir de la Chine suppose de considérer deux scénarios distincts. Le premier scénario, basé sur une croissance structurellement ralentie, suggère une convergence vers une croissance plus modérée. Ce modèle anticipe une croissance chinoise de 2,4 % d’ici 2035, représentant une diminution de 40 % par rapport à la période pré-pandémique. Dans ce contexte, bien que l’économie chinoise pourrait égaler celle des États-Unis en taille, son attractivité commerciale pourrait être altérée par la recherche croissante d’autosuffisance économique du pays.
Le deuxième scénario, plus pessimiste, envisage une croissance encore plus faible, s’appuyant sur des défis tels qu’une augmentation rapide de la dette, des contraintes technologiques et une hausse du chômage chez les jeunes. Si cette trajectoire se confirme, les entreprises européennes pourraient connaître des impacts significatifs en termes d’exportations et de rentabilité des investissements directs à l’étranger en Chine.
Dans ces deux scénarios, l’Union européenne devra surveiller de près la Chine, notamment ses évolutions technologiques et normatives, afin de protéger ses intérêts commerciaux et technologiques. La capacité de la Chine à atténuer cette baisse structurelle par l’innovation ou par des partenariats avec d’autres acteurs influencera directement les entreprises européennes et leur position sur les marchés internationaux.
Les trois scénarios d’un partenariat scientifique et technologique avec la Chine
Scénario 1 : Atouts et Limites
Dans ce scénario, malgré les succès spectaculaires de la Chine dans des domaines clés comme les brevets et les publications scientifiques, la réalité de sa puissance en sciences et technologies peut être exagérée. Les politiques strictes et la pression accrue de la campagne anticorruption en Chine limitent l’initiative et la créativité des chercheurs, entraînant une fuite des cerveaux et des entrepreneurs. De plus, les efforts de rattrapage de la Chine montrent des rendements décroissants, bien que des progrès significatifs soient réalisés dans des domaines nécessitant de vastes bases de données ou d’énormes infrastructures de recherche.
Pendant ce temps, l’UE renforce ses mesures de précaution concernant la coopération avec la Chine, ce qui entrave les collaborations scientifiques. Bien que certaines grandes entreprises européennes continuent à mener une partie de leur recherche en Chine pour profiter des avantages locaux, l’UE intensifie ses propres capacités de recherche et de développement pour limiter sa dépendance à l’égard de la Chine.
Scénario 2 : Cercles Vicieux
Dans cette perspective plus pessimiste, l’UE se retrouve isolée et affaiblie face à une Chine de plus en plus puissante. Les relations entre l’UE et la Chine se détériorent davantage en raison de perceptions négatives et de mesures restrictives, entraînant une déconnexion croissante des systèmes d’innovation. Cependant, malgré la pression, certaines entreprises européennes poursuivent leurs collaborations en Chine, mais avec des compromis de plus en plus difficiles à négocier.
Parallèlement, les États-Unis réussissent à maintenir des collaborations scientifiques avec la Chine tout en protégeant leurs intérêts, ce qui leur permet de garder une longueur d’avance sur les avancées technologiques chinoises.
Scénario 3 : Cercles Vertueux
Dans ce scénario, bien que la Chine et l’UE aient des défis et des tensions, elles parviennent à établir un partenariat de qualité. L’UE renforce ses mesures pour aligner les conditions de fonctionnement sur le marché chinois, tout en contrôlant les transferts de technologies sensibles. De son côté, la Chine ajuste sa politique pour s’engager davantage avec l’UE, acceptant des mécanismes pour garantir une coopération plus équilibrée.
Cela permet de relancer les partenariats en sciences et technologies, en particulier dans des domaines clés tels que la médecine, la biotechnologie et les technologies vertes, bénéficiant aux deux entités.
Ces scénarios illustrent diverses voies possibles pour l’évolution des relations S&T entre la Chine et l’UE, reflétant différentes orientations stratégiques et résultats potentiels en fonction des interactions entre ces puissances.
Décarbonation
Ces trois scénarios explorent diverses orientations possibles pour les relations entre la Chine et l’Union européenne en matière de décarbonation et de négociations climatiques.
Domaine | Part mondiale, année |
---|---|
PIB | 18% (2023) |
Population | 17,7% (2023) |
Consommation de charbon | 54% (2021) |
Emissions de gaz à effet de serre | 27% (2021) |
Production de batteries | 75% (2022) |
Production de panneaux photovoltaïques | 80% (2022) |
Scénario 1 : Rapprochement Chine-UE
Ce scénario suppose un rapprochement entre la Chine et l’UE en matière de lutte contre le changement climatique. Cependant, il est suggéré que ce rapprochement pourrait profiter davantage à la Chine qu’à l’UE. Les recommandations pour l’UE dans ce contexte incluent des actions telles que renforcer les relations avec les pays en développement mécontents des positions conservatrices de la Chine, maintenir l’accès aux composants de panneaux solaires tout en investissant dans l’indépendance énergétique de l’UE, être vigilant face à des politiques commerciales défavorables aux entreprises européennes, et exercer une pression sur la Chine pour qu’elle rehausse ses ambitions climatiques.
Scénario 2 : Maintien des Relations Actuelles avec Renforcement du Soutien aux Pays en Développement
Ce scénario envisage que l’UE maintienne ses relations actuelles avec la Chine et les États-Unis tout en renforçant son soutien financier aux pays en développement dans leur lutte contre le changement climatique. L’UE maintiendrait son leadership climatique en continuant ses programmes d’aide aux pays en développement, affirmant son rôle de bailleur de fonds et cherchant à ne pas perdre son influence internationale au profit de la Chine.
Scénario 3 : Renforcement du Binôme États-Unis – UE
Ce scénario suppose un renforcement des relations entre les États-Unis et l’UE, probablement dans le cadre d’une présidence américaine active sur les questions climatiques. Il pourrait être motivé par une volonté de renforcer les positions des démocraties libérales face à la Chine. Cependant, il pourrait également engendrer des tensions géopolitiques entre les pays du nord et du sud, ainsi que des incertitudes dues à l’alternance politique aux États-Unis.
Ces scénarios présentent différents chemins que l’UE pourrait emprunter en matière de politique climatique, chacun avec ses propres avantages, risques et conséquences géopolitiques. Les recommandations pour l’UE varient en fonction des choix stratégiques envisagés dans ces scénarios pour aborder la décarbonation et les négociations climatiques.
Rééquilibrage de la dépendance commerciale à l’égard de la Chine
Ces deux scénarios explorent différents futurs possibles pour les relations commerciales entre l’Union européenne et la Chine, mettant en lumière diverses dynamiques économiques et géopolitiques :
Scénario 1 : Coopération Renouvelée
Ce scénario imagine une continuation des échanges commerciaux entre l’UE et la Chine. L’UE resterait ouverte au commerce avec la Chine à condition que la réciprocité et une concurrence équitable soient garanties. Les importations dans le marché unique de l’UE seraient liées à de nouveaux investissements en Europe. Dans le cas où la Chine acquiert une domination technologique à partir de pratiques de concurrence déloyale, elle devrait s’engager à effectuer des transferts de technologie. L’UE pourrait également utiliser activement des mesures anti-dumping et des instruments de défense commerciale pour obtenir un meilleur accès au marché chinois.
Scénario 2 : Coexistence Maîtrisée
Ce scénario envisage une baisse des flux relatifs de et vers la Chine, mais sans une rupture complète des échanges commerciaux. Il met l’accent sur un ralentissement de l’économie chinoise en raison de problèmes structurels tels que la crise immobilière, l’endettement des autorités locales, le chômage massif des jeunes et d’autres facteurs internes. Le découplage entre les États-Unis et la Chine se poursuit principalement dans le secteur des technologies, notamment les technologies disruptives, vertes et militaires. Cela incite les entreprises européennes à limiter leur dépendance excessive aux importations chinoises, mais celles déjà présentes en Chine peuvent maintenir voire accroître leurs investissements.
Ces scénarios décrivent des contextes où l’UE doit prendre des décisions stratégiques pour naviguer dans des relations commerciales potentiellement changeantes avec la Chine, en tenant compte de la concurrence, des enjeux technologiques et des évolutions géopolitiques. Les recommandations varient selon les choix stratégiques envisagés, comme l’utilisation d’outils commerciaux, la recherche de réciprocité et la gestion des dépendances économiques vis-à-vis de la Chine.
En explorant ces scénarios de relations commerciales entre l’Union européenne et la Chine, il devient clair que le paysage économique et géopolitique mondial est en constante évolution. Ces scénarios mettent en lumière les défis et les opportunités auxquels l’UE est confrontée dans sa relation avec la Chine, définissant ainsi des axes stratégiques pour son avenir.
La complexité des enjeux commerciaux et géopolitiques souligne la nécessité pour l’UE de prendre des décisions stratégiques réfléchies et de rester agile dans un paysage international en mutation. La recherche d’une réciprocité dans les échanges, la protection contre les pratiques de concurrence déloyale et la gestion des dépendances économiques sont parmi les défis majeurs à relever.
La voie à suivre pour l’UE dépendra de sa capacité à établir des partenariats solides, à renforcer ses positions stratégiques et à protéger ses intérêts économiques tout en promouvant des valeurs telles que la transparence, l’équité et l’innovation. Ces scénarios offrent des perspectives pour l’élaboration de politiques commerciales et économiques qui contribueront à façonner un avenir où l’UE maintient son rôle central dans le commerce mondial tout en gérant efficacement les risques associés à sa relation avec la Chine.
Voir le rapport complet de l’institut Delors : R126-UE-Chine-Fabry_FR